PRESIDENCE
DE LA REPUBLIQUE
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ORDONNANCE n°2019-015
RELATIVE AU
RECOUVREMENT DES AVOIRS ILLICITES
LE PRESIDENT DE LA
REPUBLIQUE,
Vu la Constitution ;
Vu la Loi n°2019-001
du 15 février 2019 déléguant le pouvoir de légiférer au Président de la
République
Le Conseil des Ministres entendu en sa réunion du 28 juin
2019,
Vu la décision n°14-HCC/D3 du -HCC/D3 du 5
juillet 2019 de la Haute Cour Constitutionnelle,
PROMULGUE L’ORDONNANCE
DONT LA TENEUR SUIT:
TITRE I : DISPOSITIONS GENERALES
Article
premier.- La présente ordonnance a pour objet de mettre en place un
cadre légal relatif au recouvrement des avoirs illicites.
Art.
2.-Aux fins de la présente ordonnance, les termes ci-après sont définis
comme suit :
- Avoirs illicites :
biens et avantages patrimoniaux de toute nature tirés des détournements de
biens et de deniers publics, d’infractions de corruption, de blanchiment de capitaux
et/ou de financement du terrorisme.
- Administrations
publiques spécialisées : administrations publiques qui, en
vertu des textes spécifiques, détiennent le pouvoir de saisie et/ou de
confiscation.
- Agents
verbalisateurs : agents publics habilités par la loi pour
effectuer des saisies, et gels, incluant les officiers de police judiciaire
(OPJ) et les fonctionnaires ayant la qualité d’OPJ, les agents habilités du
BIANCO et du SAMIFIN.
- Biens : tous les
types d’avoirs, corporels ou incorporels, meubles ou immeubles, tangibles ou
intangibles, ainsi que les actes juridiques ou documents attestant la propriété
de ces avoirs ou les droits y afférents.
- Confiscation :
dépossession permanente de biens sur décision judiciaire.
- Gel ou
saisie : mesure qui consiste à interdire temporairement le transfert ou
la conversion ou la disposition ou le mouvement de biens, sur décision
judiciaire ou celle de toute autre autorité compétente.
- Recouvrement : Ensemble
des opérations tendant à obtenir la récupération d’un bien ou le paiement de la
valeur d’un bien qualifié d’avoir illicite au sens de la présente ordonnance.
Art.3.-Les
procédures de gel, saisie ou confiscation prévues devant les juridictions
compétentes en matière de détournements de biens et de deniers publics, d’infractions
de corruption, de blanchiment de capitaux et/ou de financement du terrorisme
sont applicables dans le cadre de la présente ordonnance.
TITRE II.DES MESURES DE RECOUVREMENT
CHAPITRE I : DES
GELS ET SAISIES
Art. 4.-A tout moment de la
procédure relative à la répression des infractions prévues par la présente
ordonnance, les agents verbalisateurs et les autorités judiciaires compétentes
procèdent à la saisie ou au gel des biens visés à l’article 18
de la présente ordonnance.
Les autorités judiciaires peuvent prescrire
toute mesure qu’elles estiment nécessaire dans l’intérêt de la justice ou
protéger les droits des personnes de bonne foi.
Art.5.-Les biens concernés sont consignés
dans un registre tenu par la Chambre en charge de gel ou de saisie, à la
première instance et au second degré, et côté et paraphé par son président.
Art.6.-En cas de gel ou
saisie des avoirs réalisés au cours de l’enquête préliminaire par les Officiers
de Police Judiciaires ou administrations spécialisées, le procès-verbal de
saisie est transmis au Procureur de la République de la juridiction compétente
dans un délai de 24 heures pour les districts où siège la juridiction, 48
heures pour les districts limitrophes, et 5 jours maximum pour les districts
non limitrophes.
Le Parquet transmet dans un délai de 24
heures le procès-verbal de saisie ainsi réceptionné, à la Chambre en charge du
gel, de la saisie et de la confiscation des avoirs de la juridiction compétente.
Au cours de la poursuite ou de
l’instruction préparatoire, le Ministère Public ou le juge d’instruction selon
le cas, peut demander auprès de la Chambre en charge du gel, de la saisie et de
la confiscation que soit ordonné un gel ou une saisie des biens.
La Chambre en charge du gel, de la
saisie et de la confiscation des avoirs rend une décision sous 24 heures, sans
débats sur le bien-fondé de la saisie, en vue de l’enregistrement formel du gel
ou de la saisie dans le Registre de ladite Chambre.
Art.7.-Le Ministère Public,
les administrations publiques spécialisées concernées, le propriétaire du bien
saisi et, s’ils sont connus, les tiers ayant des droits sur le bien saisi sont
notifiés de la décision de saisie.
La décision de saisie peut être attaquée par
voie d’opposition sur la régularité de la procédure de saisie, le bien-fondé et
l’assiette de la saisie.
L’opposition doit être formée dans un délai de
dix (10) jours à compter de la notification de la décision ou de la prise de
connaissance du gel ou de la saisie.
La requête en opposition doit être introduite auprès
la Chambre en charge du gel, de la saisie et de la confiscation des avoirs, qui
rend une décision dans un délai de huit (08) jours à l’issu d’un débat
contradictoire.
L’opposition n’a pas d’effet suspensif.
La décision rendue sur opposition est
susceptible d’appel dans un délai de dix (10) jours de la notification.
En cas de mainlevée
de la saisie et restitution, l’appel du Ministère Public est suspensif. La
Chambre en charge du gel, de la saisie et confiscation des avoirs du second
degré statue après débats avec les parties ou leurs conseils, sous huitaine.
Art.8 –En cas de saisie pénale
immobilière et avant réception de l’acte notifiant la décision de saisie, le
conservateur de la propriété foncière du lieu de la situation de l’immeuble en est
informé par tous moyens le jour même en vue de son inscription sur les livres
fonciers.
L’information ainsi donnée vaut réquisition.
L’inscription prend effet à compter du jour de la réquisition.
La décision de saisie est notifiée au conservateur
de la propriété foncière de la situation de l’immeuble par lettre recommandée
avec accusé de réception dans un délai de 10 jours à compter de son prononcé.
La saisie pénale immobilière est maintenue
jusqu’à sa radiation du livre foncier par décision judiciaire.
Art.9.- Nul ne peut user ou
disposer de biens objet de saisie et de gel.
Toutefois, la conservation et la
gestion des biens saisis ainsi que la consignation de la contre-valeur des
biens aliénés avant la décision de confiscation relèvent de l’Agence de
recouvrement des avoirs illicites.
En dehors des dispositions relatives à la
destruction ou à la vente anticipée des biens conservés, et sous peine de
nullité, tout acte contrevenant à la saisie ou au gel est de ce fait nul.
Art. 10.-La décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement emporte de plein
droit mainlevée des mesures de gel, de saisie ordonnées.
L’appel interjeté par
le Ministère Public est suspensif.
Art 11. –La mainlevée des mesures
conservatoires ne pourra être exécutée qu’après apurement intégral des amendes
et créances de l’Etat.
Art. 12. – Ne sont pas
susceptibles de restitution les biens ayant servi à la commission d’une infraction
prévue par la présente ordonnance, les objets dangereux, stupéfiants,
substances psychotropes et précurseurs.
CHAPITRE II : DES
CONFISCATIONS
Art. 13.-Indépendamment des
autres sanctions prévues par la législation en vigueur, la juridiction pénale
compétente prononce la confiscation des avoirs illicites.
Art. 14.-La décision de confiscation désigne les avoirs concernés et
les précisions nécessaires à leur identification, évaluation et localisation.
Sauf dispositions législatives particulières
prévoyant leur destruction ou leur attribution et sans préjudice des droits
réels régulièrement constitués au profit des tiers, les avoirs confisqués sont dévolus
à l’Etat.
La décision de confiscation ordonne la
remise des avoirs confisqués à l’Agence chargée du recouvrement des avoirs
illicites.
Art.15.- Les avoirs concernés sont consignés
dans un registre tenu par la Chambre en charge de confiscation, à la première instance
et au second degré, et côté et paraphé par son président.
Art. 16.-En cas de décision de
relaxe ou d’acquittement, la juridiction pénale compétente restitue de plein
droit les avoirs visés par la poursuite sauf s’ils présentent un caractère
dangereux pour l’ordre public, tels que les armes sous toutes ses formes, les stupéfiants,
substances psychotropes et précurseurs.
Art. 17.-Sauf prescription, la fuite ou l’impossibilité légale de poursuite de
l’auteur présumé ne fait pas obstacle à la saisine de la juridiction de
jugement aux fins de statuer sur le sort des biens susceptibles de confiscation.
Lorsque le
caractère illicite des avoirs est établi, la juridiction compétente prononce la
décision de confiscation.
Les avoirs
confisqués périssables et susceptibles d’être rapidement dépréciés peuvent être
immédiatement aliénés sur décision de la Chambre en charge du gel, de la saisie
et de la confiscation. Leur contre-valeur monétaire sera conservée par
l’agence, jusqu’à la décision définitive de confiscation ou de restitution
Art.
18.- La confiscation porte sur :
- tous biens meubles ou immeubles, quelle qu’en soit la nature, divis ou
indivis, objet de l’infraction ou ayant servi ou ayant été destinés à la
commettre, et dont le condamné est propriétaire ou en a le contrôle, sous
réserve des droits du propriétaire de bonne foi; - tous biens produits de manière directe ou
indirecte par l’infraction, à l’exception des biens susceptibles de restitution
à la victime, ou à concurrence de la valeur estimée de ce produit si pour
l’acquisition d’un ou plusieurs biens le produit de l’infraction a été mêlé à
des fonds d’origine licite. - les biens meubles ou immeubles, quelle qu’en soit la nature, divis ou
indivis, appartenant au condamné ou sous son contrôle, sous réserve des droits
du propriétaire de bonne foi, lorsque ni le condamné, ni le propriétaire, mis
en mesure de s’expliquer sur les biens dont la confiscation est envisagée,
n’ont pu en justifier l’origine licite ; - les avantages patrimoniaux tirés de l’infraction,
les biens et valeurs qui leur ont été substitués et les revenus de
l’investissement de ces avantages, en quelque main qu’ils se trouvent et quelle
qu’en soit la cause.
Art.19.-En matière
de détournement de biens et de deniers publics, la juridiction compétente doit prononcer
la confiscation en valeur monétaire jusqu’à concurrence de la valeur des biens
et deniers publics détournés, indépendamment des peines prévues par la
législation en vigueur,
La contrainte par corps est applicable
pour le recouvrement de la somme représentative de la valeur de la chose
confisquée. La contrainte par corps n’est levée tant que la valeur monétaire
des biens et / ou de deniers détournés n’est pas intégralement apurée.
Art.20.-Selon le cas, le Ministère
Public, les administrations publiques spécialisées concernées, le propriétaire
des avoirs confisqués et, s’ils sont connus, les tiers ayant des droits sur ces
avoirs sont notifiés de la décision de confiscation.
Dans un délai de dix (10) jours à compter de
la notification ou de la prise de connaissance de la confiscation, la décision
est susceptible d’opposition.
Dans un délai de huit (08) jours à compter de
sa saisine, la Chambre en charge du gel, de la saisie et de la confiscation des
avoirs, après débats avec les parties et sur réquisition du Ministère Public,
statue par décision de saisie ou de mainlevée et restitution.
La décision rendue sur opposition est
susceptible d’appel dans un délai de 10 jours de sa notification.
Le recours en appel est suspensif.
Art.21.-La confiscation pourra être
ultérieurement ordonnée par la juridiction pénale qui a statué au fond, sur
requête écrite du Ministère Public et dans un délai ne dépassant pas 12 mois à
compter de la décision de condamnation définitive, si celle-ci n’en a pas
statué. La juridiction pénale saisie
pourra toujours recevoir la requête même, s’il est démontré que des éléments
nouveaux concernant uniquement les biens qui découlent des faits qui ont amené
à la condamnation surviennent après ce délai de 12 mois.
L’agence chargée du recouvrement des avoirs
illicites est recevable à déposer une telle requête, lorsque la décision de
confiscation ne s’est pas prononcée ou n’a pas pu se prononcer sur un bien
saisi.
CHAPITRE
III : DE LA RESPONSABILITE DES INSTITUTIONS BANCAIRES ET FINANCIERES,
ENTREPRISES ET PROFESSIONS NON FINANCIERES DESIGNEES
Art.
22.-Les institutions financières, entreprises et professions non financières
désignées, qui détiennent des biens, sont tenues d’exécuter les décisions de
gel, de saisie et de confiscation dès leur notification.
Art. 23.-En cas d’urgence, la
notification préalable de la décision de saisie peut être faite par tous moyens et vaut
immédiatement réquisition à l’institution financière, l’entreprise ou la
profession non financière désignée, de s’abstenir d’exécuter tout mouvement au
débit, en attente de l’original de la décision.
L’institution financière, l’entreprise ou la
profession non financière requise établit par la suite trois originaux du
procès-verbal d’exécution, qui seront transmis respectivement à l’agent
verbalisateur ou magistrat ayant ordonné ou autorisé la saisie, à la chambre de
saisie et de confiscation ainsi qu’à l’agence chargée du recouvrement des
avoirs illicites.
En cas de refus d’exécution, l’agent
verbalisateur dresse immédiatement un procès-verbal pour résistance opposée à
l’exécution d’une décision de justice aux fins de poursuite par le parquet
compétent à charge pour ce dernier d’aviser l’autorité de contrôle compétente,
le cas échéant.
Art. 24.-L’institution financière, qui
oppose une résistance à la décision de saisie, encourt la suspension d’activité ou le retrait de l’agrément prononcé par
l’autorité de contrôle des institutions bancaires et financières conformément à
la réglementation en vigueur.
Les entreprises et professions
non financières désignées, qui opposent une résistance à la décision de saisie, sont
frappées d’interdiction d’exercer directement ou indirectement
certaines activités sociales et commerciales pour une durée de 5 ans à 20 ans
lorsque la procédure de saisie rentre dans le cadre de la poursuite d’un délit.
L’interdiction est définitive dans le cadre de la poursuite d’un crime
Art.25.-Quiconque ayant pris
connaissance de l’existence d’une procédure en cours de gel, saisie ou
confiscation dans l’exercice de ses fonctions et qui a révélé toute information préalablement
à l’exécution des dites mesures est puni d’une peine d’emprisonnement d’un an à
5 ans et d’une peine d’amende de (10) dix millions d’Ariary à (100) cent
millions d’Ariary ou l’une de ces deux peines seulement.
Art.26.-Toute personne
agissant pour le compte des institutions financières, entreprises ou
professions non financières désignées, refusant délibérément d’exécuter un gel,
une saisie, est punie d’une peine d’emprisonnement d’un an à 5 ans et d’une
peine d’amende de (10) dix millions d’Ariary à (100) cent millions d’Ariary ou
l’une de ces deux peines seulement.
TITRE III DE L’AGENCE DE RECOUVREMENT DES AVOIRS
ILLICITES
Art. 27.-L’Agence de recouvrement
des avoirs illicites est chargée de :
- faire exécuter les décisions de gel, saisie
ou confiscation des avoirs illicites; - procéder au
recouvrement des avoirs dans le cadre des détournements de biens et deniers
publics - procéder à l’enregistrement des biens visés
par la présente ordonnance dans le « Registre central de saisie, de gel et
de confiscation »dont les modalités de création et de tenue seront fixées
par décret pris en Conseil des Ministres; - assurer la conservation et la gestion des
biens saisis ainsi que la consignation de la contre-valeur des biens aliénés avant
la décision de confiscation.
La création, la composition, les
modalités d’organisation et de fonctionnement seront fixées par décret pris en
Conseil des Ministres.
Art.28.- L’Etat est tenu d’allouer à
l’Agence des crédits budgétaires suffisants et le quel est inscrit dans la loi
des finances. L’Etat assure la disponibilité des ressources suffisantes pour le
bon fonctionnement de la mise en œuvre du programme national de lutte contre la
corruption, le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, la
lutte contre la criminalité transnationale organisée.
Les crédits accordés par la loi de
finances sont versés dans des comptes de dépôt ouverts au Trésor Public au nom
de l’Agence de recouvrement.
Art.29.-Les fonds récupérés
par l’agence sont versés dans un compte particulier du Trésor ouvert au nom de
l’Agence de recouvrement.
Art.30.-Les modalités de
répartition et d’affectation des sommes recouvrées sont autorisées par la loi
de finances.
L’affectation des avoirs recouvrés après confiscation,
notamment des biens immobiliers, est décidée en Conseil des ministres sur la
base d’un rapport présenté par l’Agence.
TITRE IV
DISPOSITIONS TRANSITOIRES ET FINALES
Art.31.-Sauf les cas de
prescription tels que définis par l’article 10 de la loi 2016-020 sur la lutte
contre la corruption, les dispositions de la présente ordonnance sont
d’application immédiate sur les procédures en cours à la date de son entrée en
vigueur.
Art. 32– Des textes
réglementaires préciseront en tant que de besoin les modalités d’application de
la présente ordonnance.
Art. 33.- Les procédures de
poursuite incombent aux juridictions de droit commun :
- En l’absence de juridiction spécialisée
compétente en matière de détournement de biens et de deniers publics,
d’infraction de corruption, de blanchiment de capitaux et/ou de
financement du terrorisme ; - Lorsque les infractions ne remplissent pas
les critères d’attribution de compétence au profit des juridictions spécialisées
dans les matières visées par la présente ordonnance.
Dans ce cas, les chambres de détention
préventive et les chambres d’accusation exercent chacune à leur degré de
compétence les attributions en matière de saisie et de confiscation dans le cadre
de la présente ordonnance.
Art.
34.- Sont et demeurent abrogées les dispositions antérieures contraires à la
présente ordonnance.
Art.35.-La présente ordonnance
sera publiée au Journal Officiel de la République.
Elle sera exécutée
comme loi de l’Etat.
Promulguée à Antananarivo, le 05 juillet 2019