Interview de Mme Sahondra RABENARIVO, dans FONGOTRA 9ème Publication, par la Transparency International -Initiative Madagascar.
Transparency
International – Initiative Madagascar (TI-MG): Pourriez-vous vous présenter
brièvement ?
Sahondra RABENARIVO (SR): Je suis
juriste de formation, et en tant que telle, je possède mon propre cabinet
d’affaires. Ancienne élève du St Antoine, j’ai un bacc malgache et ai effectué
mon service national avant de partir aux Etats-Unis où je suis restée pendant
17 ans. A mon retour au pays, en 2004, j’ai été recrutée pour devenir membre du
conseil d’administration de la Fondation pour les aires protégées de
Madagascar. Peu après, pendant la crise de 2009, j’ai rejoint le SeFaFi,
l’Observatoire de la vie publique. Je suis une citoyenne engagée qui
s’intéresse au monde extérieur, à ce qui se passe dans la vie publique et
politique, etc. Avec le temps, j’ai été appelée à rejoindre l’administration du
nouveau régime et j’ai pensé que le Comité pour la Sauvegarde de l’Intégrité
(CSI) serait le plus adapté non seulement à mes convictions mais aussi à mes
compétences et c’est ainsi que j’ai rejoint le CSI, assez peu connu mais qui
est l’organe stratégique qui coordonne les activités des composantes du système
anti-corruption. Je ne pouvais pas – pour des raisons de conflit d’intérêt –
travailler dans un organe opérationnel, faire de l’investigation, poursuivre ou
juger les cas de corruption.
TI-MG: Quelle serait
votre définition de la corruption ?
SR : Eh bien, il y a d’abord la
définition du dictionnaire, mais ce n’est pas tout à fait la même chose que le
kolikoly. La corruption, c’est quand on corrompt quelque chose de propre qui
devient sale ; quelque chose de bon qui devient mauvais. Mais, pour moi en
fait, la corruption, surtout à Madagascar; c’est surtout le résultat de la
mauvaise gouvernance, le nonrespect des lois, des règles, c’est de tout faire
en dehors de l’Etat de droit. Je pense que si on pouvait améliorer la
gouvernance, on réduirait beaucoup la corruption. Evidemment, il y aura
toujours la grande corruption, les détournements de fonds, le vol, les
quiproquos (j’achète quelque chose que je ne mérite pas) et ça, c’est ce que
j’appelle la corruption qu’on essaie de réprimer. Mais toutes les pratiques de
petite corruption (les problèmes de tous les jours) sont liées à la mauvaise
gouvernance, la mauvaise utilisation du pouvoir et de l’argent public, et des
abus de droit. Le droit étant en principe l’accord entre nous tous Malgaches,
il faut que nous sachions comment nous allons nous gouverner, comment nous
allons dépenser notre argent. Pour contrer la mauvaise gouvernance, il faut
redoubler de vigilance et de suivi. Le consentement des gouvernés doit
systématiquement être recueilli avant toute décision. Et il faut ensuite mettre
cette décision en œuvre dans les règles de l’art, avec rigueur et transparence.
TI-MG: Quelles sont
les attributions du CSI dans la lutte contre la corruption ? Sur quels
chantiers travaillez-vous actuellement ?
SR : Le CSI (Comité pour la
Sauvegarde de l’Intégrité) est composé de 7 personnes : son Président est nommé
par le Président de la République, mais le reste est désigné par des entités
indépendantes tels que l’ordre des experts comptables, l’ordre des avocats, la
plateforme des chambres de commerce de Madagascar, la société civile et l’ordre
des journalistes. Ce sont tous, en dehors du Médiateur de la République, des
organes non étatiques qui désignent les membres du Comité. Au départ, le Comité
était censé être le lien entre l’Etat et la société, pour encourager les
échanges et les propositions, générer un dialogue permanent entre l’Etat et les
différentes branches de la société. C’était la philosophie au début. Toutefois,
le CSI étant un des organes de lutte contre la corruption, il fallait le
rattacher administrativement à quelque chose. Il a donc été rattaché à la
Présidence, en pensant que ce serait la manière la plus efficace de mettre la
pression sur l’administration en général. On aurait pu être rattaché à la
Primature mais la décision a été que ce serait mieux au niveau du Président et
c’est à partir de là qu’on descend petit à petit vers d’autres institutions.
C’est un challenge, car on fixe non seulement la stratégie, mais on se charge
également de son suivi, de sa coordination et de sa mise en œuvre. Et comme je
l’ai mentionné tout à l’heure, il faut préciser que le Comité n’est pas un
organe opérationnel et on n’est pas non plus les patrons du BIANCO, du SAMIFIN,
ou du Pôle Anti-corruption, mais nous sommes les garants de leur indépendance.
C’est nous par exemple qui organisons les comités ad hoc de recrutement ou de
renvoi d’un Directeur Général du BIANCO ou du SAMIFIN. Ceci permet de contrer
la prérogative présidentielle de remplacer les DG de ces organes, et je le
réitère, le CSI est un peu protecteur de leur indépendance. Certes, le CSI est
peu connu, mais nous allons faire des efforts cette année pour être mieux
compris et atteindre le public. On profite du nouveau régime pour faire une
évaluation à mi-parcours de la mes chances d’y accéder sont garanties si je
suis compétent ? Est-ce basé sur la méritocratie, ou est-ce que c’est le «
mahitahita » ou le « manambola », ou le « copaincoquin » qui va réussir à ma
place ? Pour réussir, justement, faut-il obligatoirement baigner dans la
corruption et vendre son âme ? A la fin de notre vie, est-ce que devant son
dieu ou qui que ce soit, est ce qu’on pourra dire « Oui, j’ai tout fait pour
que la corruption ne gagne pas ! » Alors moi, je leur dis, la corruption
hypothèque leur avenir, est c’est à eux de dire NON ! On ne veut pas vivre dans
un monde comme ça, on veut l’égalité des chances, on veut la méritocratie, on
veut la transparence, on veut que notre argent – collecté auprès des
contribuables – soit utilisé de manière à promouvoir l’intérêt général et pas
seulement remplir les poches de certains. La corruption est devenue un way of
life, mais j’ignore si les jeunes perçoivent que c’est injuste, que sur deux
individus aux capacités égales, c’est celui qui est le plus corrompu qui a plus
de chances d’avancer ! Ce n’est pas le Madagascar dans lequel je souhaite vivre
! Les inégalités et la corruption commencent aujourd’hui dès le CP, bien avant
le BEPC, avant le bacc, avant l’université ! C’est un grand défi ! La
digitalisation pourrait constituer l’une des solutions à la corruption et elle
pourrait constituer un secteur porteur pour les jeunes. Je terminerai par un
exemple personnel qui m’est cher. Autrefois, les concours étaient vraiment
méritocratiques. Mon père, originaire de Fandriana, a pu étudier au lycée
Gallieni et dans d’autres écoles prestigieuses, parce qu’il le méritait, parce
qu’il a travaillé dur. Mais aujourd’hui, un petit garçon de Fandriana n’aurait
plus les mêmes chances que lui. Il nous faut construire ensemble un nouvel
avenir et pour y arriver, il faut lutter contre la corruption et la mal
gouvernance, sinon les tordus vont toujours gagner et on ne veut plus de ça !
stratégie nationale de lutte contre la corruption (SNLCC) qui a été adoptée en
2015-2020. C’est donc une opportunité de voir ce qui a marché et ce qui n’a pas
marché et de rectifier le tir s’il le faut. Le CSI est aussi mandaté, selon la
loi, pour développer la Politique Nationale de Bonne Gouvernance. A mon avis il
faut les deux : la lutte contre la corruption et la promotion de la bonne
gouvernance en même temps. Et la gouvernance nécessite des réformes
administratives assez profondes pour améliorer les standards de service, la
transparence et la redevabilité ainsi que l’efficacité de l’action publique ou
son investissement dans la santé ou dans d’autres secteurs.
TI-MG: Nous travaillons de près avec les jeunes à travers les clubs Fongotra. Quel message voulez-vous leur transmettre pour les soutenir dans ce combat de longue haleine contre la corruption ?
SR: Ce que je demanderai aux jeunes, c’est de bien définir leur perception de leur avenir, et de comprendre que leur avenir peut être hypothéqué par la corruption. Premièrement, si je suis dans une école publique, est-ce que les fonds censés financer mon éducation parviennent bien à destination ou sont détournés en cours de route ? Est-ce que ça n’endommage pas dès le début mon avenir et mes perspectives ? Ensuite si je postule je-ne-sais-où, à l’université d’Ankatso, à l’Ecole Nationale de l’Administration, ou à Ecole Nationale de la Magistrature et des Greffes, est-ce que mes chances d’y accéder sont garanties si je suis compétent ? Est-ce basé sur la méritocratie, ou est-ce que c’est le « mahitahita » ou le « manambola », ou le « copaincoquin » qui va réussir à ma place ? Pour réussir, justement, faut-il obligatoirement baigner dans la corruption et vendre son âme ? A la fin de notre vie, est-ce que devant son dieu ou qui que ce soit, est ce qu’on pourra dire « Oui, j’ai tout fait pour que la corruption ne gagne pas ! » Alors moi, je leur dis, la corruption hypothèque leur avenir, est c’est à eux de dire NON ! On ne veut pas vivre dans un monde comme ça, on veut l’égalité des chances, on veut la méritocratie, on veut la transparence, on veut que notre argent – collecté auprès des contribuables – soit utilisé de manière à promouvoir l’intérêt général et pas seulement remplir les poches de certains. La corruption est devenue un way of life, mais j’ignore si les jeunes perçoivent que c’est injuste, que sur deux individus aux capacités égales, c’est celui qui est le plus corrompu qui a plus de chances d’avancer ! Ce n’est pas le Madagascar dans lequel je souhaite vivre ! Les inégalités et la corruption commencent aujourd’hui dès le CP, bien avant le BEPC, avant le bacc, avant l’université ! C’est un grand défi ! La digitalisation pourrait constituer l’une des solutions à la corruption et elle pourrait constituer un secteur porteur pour les jeunes. Je terminerai par un exemple personnel qui m’est cher. Autrefois, les concours étaient vraiment méritocratiques. Mon père, originaire de Fandriana, a pu étudier au lycée Gallieni et dans d’autres écoles prestigieuses, parce qu’il le méritait, parce qu’il a travaillé dur. Mais aujourd’hui, un petit garçon de Fandriana n’aurait plus les mêmes chances que lui. Il nous faut construire ensemble un nouvel avenir et pour y arriver, il faut lutter contre la corruption et la mal gouvernance, sinon les tordus vont toujours gagner et on ne veut plus de ça !
Propos recueillis par l’équipe de Transparency International – Initiative Madagascar